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La Gibecière à Mots
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Emile Zola (1840-1902) "Au bout de la rue Guénégaud, lorsqu'on vient des quais, on trouve le passage du Pont-Neuf, une sorte de corridor étroit et sombre qui va de la rue Mazarine à la rue de Seine. Ce passage a trente pas de long et deux de large, au plus ; il est pavé de dalles jaunâtres, usées, descellées, suant toujours une humidité âcre ; le vitrage qui le couvre, coupé à angle droit, est noir de crasse. Par les beaux jours d'été, quand un lourd soleil brûle les rues, une clarté blanchâtre tombe des vitres sales et traîne misérablement dans le passage. Par les vilains jours d'hiver, par les matinées de brouillard, les vitres ne jettent que de la nuit sur les dalles gluantes, de la nuit salie et ignoble. À gauche, se creusent des boutiques obscures, basses, écrasées, laissant échapper des souffles froids de caveau. Il y a là des bouquinistes, des marchands de jouets d'enfant, des cartonniers, dont les étalages gris de poussière dorment vaguement dans l'ombre ; les vitrines, faites de petits carreaux, moirent étrangement les marchandises de reflets verdâtres ; au-delà, derrière les étalages, les boutiques pleines de ténèbres sont autant de trous lugubres dans lesquels s'agitent des formes bizarres." Mme Raquin a élevé son fils Camille, enfant fragile, et sa nièce Thérèse, fille de son frère - capitaine de l'armée française en Algérie - et d'une "femme indigène de grande beauté". Les deux enfants grandissent et se marient. Mais Thérèse trouve l'existence monotone jusqu'au jour où Camille invite Laurent, un ancien camarade d'enfance qu'il a retrouvé par hasard...
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Abbé Prévost (1697-1763) "Je suis obligé de faire remonter mon lecteur au temps de ma vie où je rencontrai pour la première fois le chevalier des Grieux. Ce fut environ six mois avant mon départ pour l'Espagne. Quoique je sortisse rarement de ma solitude, la complaisance que j'avais pour ma fille m'engageait quelquefois à divers petits voyages, que j'abrégeais autant qu'il m'était possible. Je revenais un jour de Rouen, où elle m'avait prié d'aller solliciter une affaire au Parlement de Normandie pour la succession de quelques terres auxquelles je lui avais laissé des prétentions du côté de mon grand-père maternel. Ayant repris mon chemin par Évreux, où je couchai la première nuit, j'arrivai le lendemain pour dîner à Pacy, qui en est éloigné de cinq ou six lieues. Je fus surpris, en entrant dans ce bourg, d'y voir tous les habitants en alarme. Ils se précipitaient de leurs maisons pour courir en foule à la porte d'une mauvaise hôtellerie, devant laquelle étaient deux chariots couverts. Les chevaux, qui étaient encore attelés et qui paraissaient fumants de fatigue et de chaleur marquaient que ces deux voitures ne faisaient qu'arriver. Je m'arrêtai un moment pour m'informer d'où venait le tumulte ; mais je tirai peu d'éclaircissement d'une populace curieuse, qui ne faisait nulle attention à mes demandes, et qui s'avançait toujours vers l'hôtellerie, en se poussant avec beaucoup de confusion. Enfin, un archer revêtu d'une bandoulière, et le mousquet sur l'épaule, ayant paru à la porte, je lui fis signe de la main de venir à moi. Je le priai de m'apprendre le sujet de ce désordre. - Ce n'est rien, monsieur, me dit-il ; c'est une douzaine de filles de joie que je conduis, avec mes compagnons, jusqu'au Havre-de-Grâce, où nous les ferons embarquer pour l'Amérique. Il y en a quelques-unes de jolies, et c'est, apparemment, ce qui excite la curiosité de ces bons paysans." Le narrateur rencontre un jeune homme, le chevalier des Grieux, qui accompagne un convoi de filles que l'on déporte en Louisiane ; Manon Lescaut, la femme qu'aime le jeune homme en fait partie. Deux ans plus tard, le narrateur croise à nouveau la route du chevalier. Celui-ci lui raconte son histoire : l'amour passionné qu'il porte à Manon, les dangers d'un amour que refuse son père, la fidélité et l'infidélité, les mensonges et les tricheries, l'espérance et la souffrance...
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Alfred de Musset (1810-1857). Alfred de Musset, génie de la littérature, nous offre un drame avec "On ne badine pas avec l'amour", écrit en 1834. Mais est-ce le drame des rêves de jeunesse ou celui de l'orgueil ? sûrement les deux.
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Stendhal (1783-1842) "La petite ville de Verrières peut passer pour l'une des plus jolies de la Franche-Comté. Ses maisons blanches avec leurs toits pointus de tuiles rouges s'étendent sur la pente d'une colline, dont des touffes de vigoureux châtaigniers marquent les moindres sinuosités. Le Doubs coule à quelques centaines de pieds au-dessous de ses fortifications bâties jadis par les Espagnols, et maintenant ruinées. Verrières est abrité du côté du nord par une haute montagne, c'est une des branches du Jura. Les cimes brisées du Verra se couvrent de neige dès les premiers froids d'octobre. Un torrent, qui se précipite de la montagne, traverse Verrières avant de se jeter dans le Doubs, et donne le mouvement à un grand nombre de scies à bois, c'est une industrie fort simple et qui procure un certain bien-être à la majeure partie des habitants plus paysans que bourgeois. Ce ne sont pas cependant les scies à bois qui ont enrichi cette petite ville. C'est à la fabrique des toiles peintes, dites de Mulhouse, que l'on doit l'aisance générale qui, depuis la chute de Napoléon, a fait rebâtir les façades de presque toutes les maisons de Verrières. À peine entre-t-on dans la ville que l'on est étourdi par le fracas d'une machine bruyante et terrible en apparence. Vingt marteaux pesants, et retombant avec un bruit qui fait trembler le pavé, sont élevés par une roue que l'eau du torrent fait mouvoir. Chacun de ces marteaux fabrique, chaque jour, je ne sais combien de milliers de clous. Ce sont de jeunes filles fraîches et jolies qui présentent aux coups de ces marteaux énormes les petits morceaux de fer qui sont rapidement transformés en clous. Ce travail, si rude en apparence, est un de ceux qui étonnent le plus le voyageur qui pénètre pour la première fois dans les montagnes qui séparent la France de l'Helvétie. Si, en entrant à Verrières, le voyageur demande à qui appartient cette belle fabrique de clous qui assourdit les gens qui montent la grande rue, on lui répond avec un accent traînard : Eh ! elle est à M. le maire." Le jeune Julien Sorel, fils de charpentier franc-comtois et passionné de Napoléon, semble se destiner à la prêtrise. Il devient le précepteur des enfants du maire, M. de Rênal. Il tombe amoureux de l'épouse de celui-ci.
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Voltaire (1694-1778) "Du temps du roi Moabdar il y avait à Babylone un jeune homme nommé Zadig, né avec un beau naturel fortifié par l'éducation. Quoique riche et jeune, il savait modérer ses passions ; il n'affectait rien ; il ne voulait point toujours avoir raison, et savait respecter la faiblesse des hommes..." Zadig, jeune homme vertueux vivant dans un Orient fantaisiste, va de déboire en déboire mais toujours une intervention extérieure le sauve. Zadig est-il destiné à voir la providence s'acharner sur lui, de manière changeante, chaque fois qu'il touche au bonheur ? "Zadig" est un conte satirique dans lequel Voltaire règle ses comptes avec ses ennemis et la société. "Zadig" est également une réflexion sur le bonheur, la liberté, le déterminisme.
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Emile Gaboriau (1832-1873) "Il y a de cela trois ou quatre mois, un homme d'une quarantaine d'années, correctement vêtu de noir, se présentait aux bureaux de rédaction du Petit Journal. Il apportait un manuscrit d'une écriture à faire pâmer d'aise l'illustre Brard, le prince des calligraphes. - Je repasserai, nous dit-il, dans une quinzaine, savoir ce que vous pensez de mon travail. Religieusement le manuscrit fut placé dans le carton des « ouvrages à lire, » personne n'ayant eu la curiosité d'en dénouer la ficelle... Et le temps passa... Je dois ajouter qu'on dépose beaucoup de manuscrits au Petit Journal, et que l'emploi de lecteur n'y est pas une sinécure. Le monsieur, cependant, ne reparut pas, et on l'avait oublié, quand un matin celui de nos collaborateurs qui est chargé des lectures, nous arriva tout émoustillé. - Par ma foi ! s'écria-t-il en entrant, je viens de lire quelque chose de véritablement extraordinaire..." A Paris, dans le quartier des Batignolles, un "petit vieux" est retrouvé assassiné. Méchinet, agent de la sûreté, se lance sur la piste du ou des meurtriers ; Godeuil, son voisin et étudiant en médecine, s'associe à lui dans cette enquête... Court roman suivi de 5 nouvelles : "Bonheur passe richesse" - "la soutane de Nessus" - "Une disparition" - "Maudite maison" - "Casta vixit"
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Emile Zola (1840-1902) Emile Zola écrivit "Naïs Micoulin" lors de d'un séjour à l'Estaque où il tentait d'oublier le scandale provoqué par son roman "l'Assomoir". Ce recueil de 6 nouvelles nous montre un Zola bien différent de celui des "Rougon-Macquart". Mais quels portraits de la femme nous peint-il ! froide, calculatrice et vampirique même ! "Naïs Micoulin et autres nouvelles a été publié en 1884.
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Alfred de Musset (1810-1857) "VAN BUCK : Monsieur mon neveu, je vous souhaite le bonjour. VALENTIN : Monsieur mon oncle, votre serviteur. VAN BUCK : Restez assis ; j'ai à vous parler. VALENTIN : Asseyez-vous ; j'ai donc à vous entendre. Veuillez vous mettre dans la bergère, et poser là votre chapeau. VAN BUCK, s'asseyant : Monsieur mon neveu, la plus longue patience et la plus robuste obstination doivent, l'une ou l'autre, finir tôt ou tard. Ce qu'on tolère devient intolérable, incorrigible ce qu'on ne corrige pas ; et qui vingt fois a jeté la perche à un fou qui veut se noyer, peut être forcé un jour ou l'autre de l'abandonner ou de périr avec lui. VALENTIN : Oh ! oh ! voilà qui est débuter, et vous avez là des métaphores qui se sont levées de grand matin. VAN BUCK : Monsieur, veuillez garder le silence, et ne pas vous permettre de me plaisanter. C'est vainement que les plus sages conseils, depuis trois ans, tentent de mordre sur vous. Une insouciance ou une fureur aveugle, des résolutions sans effet, mille prétextes inventés à plaisir, une maudite condescendance, tout ce que j'ai pu ou puis faire encore (mais, par ma barbe ! je ne ferai plus rien !)... Où me menez-vous à votre suite ? Vous êtes aussi entêté..." Valentin, 25 ans, passe sa vie à s'amuser. Sans fortune, c'est son oncle Van Buck qui l'entretient. Van Buck, fatigué du comportement de son neveu, lui suggère d'épouser la riche Cécile de Mantes. Valentin décide de prouver à son oncle que ce mariage est grotesque... Comédie en 3 actes
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Alexandre Dumas (1802-1870) "C'était pendant une de ces longues et charmantes soirées que nous passions, durant l'hiver de 1841, chez la princesse Galitzin, à Florence. Il avait été convenu que, dans cette soirée, chacun raconterait son histoire. Cette histoire ne pouvait être qu'une histoire fantastique, et chacun avait déjà raconté la sienne, à l'exception du comte Élim. Le comte Élim était un beau grand jeune homme blond, mince, pâle, et d'un aspect mélancolique, que faisaient parfois d'autant mieux ressortir des accès de folle gaieté qui lui prenaient comme une fièvre, et qui se passaient de même. Plusieurs fois déjà la conversation était tombée, devant lui, sur des sujets pareils ; et toutes les fois qu'il avait été question d'apparitions, et que nous lui avions demandé son avis, il nous avait répondu avec cet accent de vérité qui n'admet pas de doute : - J'y crois. Pourquoi y croyait-il ? Personne ne le lui avait jamais demandé ; d'ailleurs, en pareille matière, on croit ou l'on ne croit pas, et l'on serait fort embarrassé de donner une raison quelconque de sa croyance ou de son incrédulité. Certes, Hoffmann croyait à la réalité de tous ses personnages : il avait vu maître Floh et avait connu Coppelius. Tant il y a que, lorsque le comte Élim, à propos des histoires les plus étranges de spectres, d'apparitions et de revenants, nous avait répondu : « J'y crois », personne n'avait douté qu'effectivement il n'y crût. Lorsque le tour du comte Élim fut venu de raconter son histoire, chacun se tourna donc avec une grande curiosité vers lui..." Le comte Elim se perd dans la forêt, lors d'une chasse, et parvient à un étrange château : il est hanté... Toute comtesse d'Eppstein mourant le jour de Noël n'est qu'à moitié morte. C'est le cas de la comtesse Albine dont le fantôme continue de protéger son fils Everard, rejeté et abandonné par son père, le comte Maximilien...
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George Sand (1804-1876) "- Pourquoi es-tu triste, mon camarade ? De quoi es-tu mécontent ? Tu es jeune et fort, tu n'as père ni mère, femme ni enfants, partant aucun des tiens dans la peine. Tu travailles vite et bien. Jamais tu ne manques d'ouvrage. Personne ici ne te reproche de n'être pas du pays. Au contraire, on t'estime pour ta conduite et tes talents, car tu es instruit pour un ouvrier : tu sais lire, écrire et compter presque aussi bien qu'un commis. Tu as de l'esprit et de la raison, et par-dessus le marché, tu es le plus joli homme de la ville. Enfin tu as vingt-quatre ans, un bel âge ! Qu'est-ce qu'il te faut donc, et pourquoi, au lieu de venir te promener et causer avec nous le dimanche, te tiens-tu à l'écart, comme si tu ne te croyais pas l'égal des autres, ou comme si tu ne les jugeais pas dignes de toi ? Ainsi parlait Louis Gaucher, l'ouvrier coutelier, à Etienne Lavoute, dit Sept-Epées, le coutelier-armurier. Ils étaient assis au soleil, devant une des cinq ou six cents fabriques qui se pressent et s'enchevêtrent sur les deux rives du torrent, à l'endroit appelé le Trou-d'Enfer. Pour s'entendre parler l'un l'autre au bord de cette violente et superbe chute d'eau, il leur fallait l'habitude qu'ils avaient de saisir la parole humaine à travers le bruit continuel des marteaux, les cris aigres des outils et le sifflement de la fournaise." Etienne, dit Sept-Epée, est un jeune coutelier, parmi tant d'autres, de la Ville Noire. Il a l'ambition de s'élever car il est un bon ouvrier. Sept-Epée aime aussi la jeune ouvrière papetière Tonine qui a pour désir de soulager ses prochains. Mais il a peur du mariage qui briserait peut-être ses rêves...
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Alexandre Dumas (1802-1870) "Le 20 août 1672, la ville de la Haye, si vivante, si blanche, si coquette que l'on dirait que tous les jours sont des dimanches, la ville de la Haye, avec son parc ombreux, avec ses grands arbres inclinés sur ses maisons gothiques, avec les larges miroirs de ses canaux dans lesquels se reflètent ses clochers aux coupoles presque orientales, la ville de la Haye, la capitale des sept Provinces-Unies, gonflait toutes ses artères d'un flot noir et rouge de citoyens pressés, haletants, inquiets, lesquels couraient, le couteau à la ceinture, le mousquet sur l'épaule ou le bâton à la main, vers le Buitenhof, formidable prison dont on montre encore aujourd'hui les fenêtres grillées et où, depuis l'accusation d'assassinat portée contre lui par le chirurgien Tyckelaer, languissait Corneille de Witt, frère de l'ex-grand pensionnaire de Hollande. Si l'histoire de ce temps, et surtout de cette année au milieu de laquelle nous commençons notre récit, n'était liée d'une façon indissoluble aux deux noms que nous venons de citer, les quelques lignes d'explication que nous allons donner pourraient paraître un hors-d'oeuvre ; mais nous prévenons tout d'abord le lecteur, ce vieil ami, à qui nous promettons toujours du plaisir à notre première page, et auquel nous tenons parole tant bien que mal dans les pages suivantes ; mais nous prévenons, disons-nous, notre lecteur que cette explication est aussi indispensable à la clarté de notre histoire qu'à l'intelligence du grand événement politique dans lequel cette histoire s'encadre. Corneille ou Cornélius de Witt, ruward de Pulten, c'est-à-dire inspecteur des digues de ce pays, ex-bourgmestre de Dordrecht, sa ville natale, et député aux États de Hollande, avait quarante-neuf ans, lorsque le peuple hollandais, fatigué de la république, telle que l'entendait Jean de Witt, grand pensionnaire de Hollande, s'éprit d'un amour violent pour le stathoudérat, que l'édit perpétuel imposé par Jean de Witt aux Provinces-Unies avait à tout jamais aboli en Hollande." Hollande, 1672. Le parti orangiste, désirant mettre au pouvoir Guillaume de Nassau, complote contre les frères de Witt, Corneille et Jean, et soulève le peuple contre eux. Pendant ce temps, Cornelius van Baerle, filleul de Corneille, ne vit que pour une chose : créer une tulipe noire pour laquelle la Société Horticole de Harlem a promis une récompense. Mais c'est sans compter sur son voisin, Isaac Boxtel, prêt à tout pour posséder la tulipe noire et surtout la récompense... Cornelius est arrêté pour haute trahison, jugé et condamné...
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Pierre Loti (1850-1923) "C'est avec une sorte de crainte que je touche à l'énigme de mes impressions du commencement de la vie, - incertain si bien réellement je les éprouvais moi-même ou si plutôt elles n'étaient pas des ressouvenirs mystérieusement transmis... J'ai comme une hésitation religieuse à sonder cet abîme... Au sortir de ma nuit première, mon esprit ne s'est pas éclairé progressivement, par lueurs graduées ; mais par jets de clartés brusques - qui devaient dilater tout à coup mes yeux d'enfant et m'immobiliser dans des rêveries attentives - puis qui s'éteignaient, me replongeant dans l'inconscience absolue des petits animaux qui viennent de naître, des petites plantes à peine germées. Au début de l'existence, mon histoire serait simplement celle d'un enfant très choyé, très tenu, très obéissant et toujours convenable dans ses petites manières, auquel rien n'arrivait, dans son étroite sphère ouatée, qui ne fût prévu, et qu'aucun coup n'atteignait qui ne fût amorti avec une sollicitude tendre. Aussi voudrais-je ne pas écrire cette histoire qui serait fastidieuse ; mais seulement noter, sans suite ni transitions, des instants qui m'ont frappé d'une étrange manière, - qui m'ont frappé tellement que je m'en souviens encore avec une netteté complète, aujourd'hui que j'ai oublié déjà tant de choses poignantes, et tant de lieux, tant d'aventures, tant de visages." "Le roman d'un enfant" est une oeuvre autobiographique. Pierre Loti y raconte les souvenirs de ses premières années, ceux d'un enfant vivant dans le rêve d'aventure. Bien des années plus tard, il écrit la suite : "Prime jeunesse". Des souvenirs plein d'amitié, de passion, de blessures...
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George Sand (1804-1876) "Quand tu passes le long des buissons, sur ce maigre cheval qui a l'air d'une chèvre sauvage, à quoi penses-tu, belle endormie ? Quand je dis belle... tu ne l'es point, tu es trop menue, trop pâle, tu manques d'éclat, et tes yeux, qui sont grands et noirs, n'ont pas la moindre étincelle de vie. Or, quand tu passes le long des buissons, sans soupçonner que quelqu'un peut être là pour te voir paraître et disparaître, - quel est le but de ta promenade et le sujet de ta rêverie ? Tes yeux regardent droit devant eux, ils ont l'air de regarder loin. Peut-être ta pensée va-t-elle aussi loin que tes yeux ; peut-être dort-elle, concentrée en toi-même." Tel était le monologue intérieur de Pierre André pendant que Marianne Chevreuse, après avoir descendu au pas sous les noyers, passait devant le ruisseau et s'éloignait au petit galop pour disparaître au tournant des roches. Marianne était une demoiselle de campagne, propriétaire d'une bonne métairie, rapportant environ cinq mille francs, ce qui représentait dans le pays un capital de deux cent mille. C'était relativement un bon parti, et pourtant elle avait déjà vingt-cinq ans et n'avait point trouvé à se marier. On la disait trop difficile et portée à l'originalité, défaut plus inquiétant qu'un vice aux yeux des gens de son entourage. On lui reprochait d'aimer la solitude, et on ne s'expliquait pas qu'orpheline à vingt-deux ans, elle eût refusé l'offre de ses parents de la ville, un oncle et deux tantes, sans parler de deux ou trois cousines, qui eussent désiré la prendre en pension et la produire dans le monde, où elle eût rencontré l'occasion d'un bon établissement. La Faille-sur-Gouvre n'était pas une ville sans importance..." Marianne est une jeune femme de 25 ans, aisée et éprise de liberté. Pierre-André a dépassé la quarantaine et estime être un raté. Ils se connaissent depuis longtemps et cultivent une amitié. Mais n'est-ce seulement que de l'amitié ?
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Prosper Mérimée (1803-1870) - Théodore, dit M. le professeur Wittembach, veuillez me donner ce cahier relié en parchemin, sur la seconde tablette, au-dessus du secrétaire ; non pas celui-ci, mais le petit in-octavo. C'est là que j'ai réuni toutes les notes de mon journal de 1866, du moins celles qui se rapportent au comte Szémioth. Le professeur mit ses lunettes, et, au milieu du plus profond silence, lut ce qui suit : LOKIS - avec ce proverbe lithuanien pour épigraphe : « Miszka su Lokiu, Abu du tokiu. » Lorsque parut à Londres la première traduction des Saintes Écritures en langue lithuanienne, je publiai, dans la Gazette scientifique et littéraire de Koenigsberg, un article dans lequel, tout en rendant pleine justice aux efforts du docte interprète et aux pieuses intentions de la Société biblique, je crus devoir signaler quelques légères erreurs, et, de plus, je fis remarquer que cette version ne pouvait être utile qu'à une partie seulement des populations lithuaniennes. En effet, le dialecte dont on a fait usage n'est que difficilement intelligible aux habitants des districts où se parle la langue jomaïtique, vulgairement appelée jmoude, je veux dire dans le palatinat de Samogitie, langue qui se rapproche du sanscrit encore plus peut-être que le haut lithuanien. Cette observation, malgré les critiques furibondes qu'elle m'attira de la part de certain professeur bien connu à l'Université de Dorpat, éclaira les honorables membres du conseil d'administration de la Société biblique, et il n'hésita pas à m'adresser l'offre flatteuse de diriger et de surveiller la rédaction de l'Évangile de saint Matthieu en samogitien." Recueil de 5 nouvelles fantastiques : "Lokis" - " La Vénus d'Ille" - " Vision de Charles XI" - "Federigo" - "Il viccolo di madama Lucrezia"
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George Sand (1804-1876) "Il y a quelques années, un de nos amis partant pour la Suisse nous chargea de ranger des papiers qu'il avait laissés à la campagne, chez sa mère, bonne femme peu lettrée, qui nous donna le tout, pêle-mêle, à débrouiller. Beaucoup des manuscrits de Jacques Laurent avaient déjà servi à faire des sacs pour le raisin, et c'était peut-être la première fois qu'ils étaient bons à quelque chose. Cependant nous eûmes le bonheur de sauver deux cahiers qui nous parurent offrir quelque intérêt. Quoiqu'ils n'eussent rien de commun ensemble, en apparence, la même ficelle les attachait, et nous prîmes plaisir à mettre en regard les interruptions d'un de ces manuscrits avec les dates de l'autre ; ce qui nous conduisit à en faire un tout que nous livrons à votre discrétion bien connue, amis lecteurs. Nous avons désigné ces deux cahiers par les numéros 1 et 2, et par les titres de Travail et Journal. Le premier était un recueil de notes pour un ouvrage philosophique que Jacques Laurent n'a pas encore terminé et qu'il ne terminera peut-être jamais. Le second était un examen de son coeur et un récit de ses émotions qu'il se faisait sans doute à lui-même." Jacques, dans son cahier de travail et son journal, s'interroge beaucoup sur la femme. Il fait connaissance de sa voisine, la vertueuse Julie, dont il tombe amoureux. Mais son chemin croise celui de la courtisane Isidora... Laquelle choisir ?
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George Sand (1804-1876) "Chargé par mon père d'une mission très délicate, je me rendis, vers la fin de mai 1788, au château d'Ionis, situé à une dizaine de lieues dans les terres, entre Angers et Saumur. J'avais vingt-deux ans, et j'exerçais déjà la profession d'avocat, pour laquelle je me sentais peu de goût, bien que ni l'étude des affaires ni celle de la parole ne m'eussent présenté de difficultés sérieuses. Eu égard à mon âge, on ne me trouvait pas sans talents ; et le talent de mon père, avocat renommé dans sa localité, m'assurait, pour l'avenir, une brillante clientèle, pour peu que je fisse d'efforts pour n'être pas trop indigne de le remplacer. Mais j'eusse préféré les lettres, une vie plus rêveuse, un usage plus indépendant et plus personnel de mes facultés, une responsabilité moins soumise aux passions et aux intérêts d'autrui. Comme ma famille était dans l'aisance, et que j'étais fils unique, très choyé et très chéri, j'eusse pu choisir ma carrière ; mais j'eusse affligé mon père, qui s'enorgueillissait de sa compétence à me diriger dans le chemin qu'il m'avait frayé d'avance, et je l'aimais trop tendrement pour vouloir faire prévaloir mes instincts sur ses désirs. Ce fut une soirée délicieuse que celle où j'achevais cette promenade à cheval à travers les bois qui entourent le vieux et magnifique château d'Ionis. J'étais bien monté, vêtu en cavalier avec une sorte de recherche, et accompagné d'un domestique dont je n'avais nul besoin, mais que ma mère avait eu l'innocente vanité de me donner pour la circonstance, voulant que son fils se présentât convenablement chez une des personnes les plus brillantes de notre clientèle. La nuit s'éclairait mollement du feu doux de ses plus grandes étoiles." Just Nivières, un jeune avocat, est chargé par son père, également avocat, de résoudre une affaire assez simple au château d'Ionis. Sa cliente, Mme d'Ionis étant absente, c'est sa belle-mère qui accueille Just Nivières. Le soir, la bonne apporte, dans sa chambre, un ambigu afin qu'il puisse se restaurer. Mais pourquoi trois pains et trois carafes d'eau pour un seul homme ?
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Théophile Gautier (1811-1872) "Il pouvait bien être deux heures du matin. La chandelle, non mouchée, avait un pied de nez ; le feu était presque éteint. Mon ami Théodore, accoudé sur sa table avec une désinvolture toute bachique, fumait une pipe courte et noire noblement culottée, un digne brûle-gueule, à faire envie à un caporal de la vieille garde. De temps en temps il déposait sa pipe, et se donnait gravement à boire par-dessus l'épaule, ou à côté de la bouche, ou se versait d'une bouteille vide, ou laissait tomber son verre plein ; bref, notre ami Théodore était complétement ivre. Et cela n'eût paru étonnant à personne, à voir la longue file "De bouteilles sur cu Qui disaient, sans goulot : Nous avons trop vécu. " À moins qu'il n'en eût jeté le contenu par la fenêtre, ce qui est peu probable, il devait mathématiquement et logiquement être ivre-mort. Il y aurait eu de quoi griser un tambour-major et deux sonneurs, et notre ami Théodore était seul. Je l'avoue en rougissant, il était seul, malgré le célèbre adage : Celui qui boit seul est indigne de vivre. Adage si religieusement suivi dans tout État un peu civilisé. Les "Jeunes France" est un mouvement romantique au XIXe siècle. Recueil de 6 nouvelles mettant en scène quelques-uns de ces jeune gens ironiques, aux idées libérales et opposés au conservationnisme. "Sous la table" - "Onuphrius" - "Daniel Jovard" - "Celle-ci et celle-là" - "Elias Wildmanstadius" - "Le bol de punch"
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Alphonse Daudet (1840-1897) "Ce matin-là j'étais très-en retard pour aller à l'école, et j'avais grand'peur d'être grondé, d'autant que M. Hamel nous avait dit qu'il nous interrogerait sur les participes, et je n'en savais pas le premier mot. Un moment l'idée me vint de manquer la classe et de prendre ma course à travers champs. Le temps était si chaud, si clair ! On entendait les merles siffler à la lisière du bois, et dans le pré Rippert, derrière la scierie, les Prussiens qui faisaient l'exercice. Tout cela me tentait bien plus que la règle des participes ; mais j'eus la force de résister, et je courus bien vite vers l'école..." La première partie (La fantaisie et l'histoire) est composée de récits liés à la guerre de 1870, notamment sur la vie des Parisiens lors du siège de Paris par les Prussiens ainsi que sur la Commune et la répression sanglante des Versaillais. La seconde partie (Caprices et souvenirs) est une galerie d'évocations diverses aux sujets plus légers que dans la première partie.